L’homicide routier, de la poudre aux yeux ?

Oscar Wilde le disait : « L’émotion nous égare, c’est son principal mérite » se mariant sans difficulté à un adage aussi pertinent : « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

Ainsi, sous la pression cumulée de l’opinion publique (affaires du fils du chef étoilé Alléno, Pierre Palmade) et de l’indignation des associations de victimes face à l’usage inacceptable de l’adjectif « involontaire » lors d’une infraction routière causée par l’absorption d’alcool et/ou de stupéfiants, il était urgent de ne rien changer, sauf les mots en usant de la science des mots.

En introduisant le terme « d’homicide routier » en lieu et place de l’homicide involontaire, sans rien modifier aux conséquences pénales encourues par les auteurs, le Comité interministériel sur la sécurité routière a certes pansé les plaies de l’émotion immédiate, mais a usé d’une sémantique hasardeuse, plus génératrice de problèmes juridiques que de solutions.

Nul ne s’en trouve satisfait, surtout pas les victimes et leurs proches.

 Ce qui change : rien ou presque !

L’objectif a été simple : substituer l’homicide routier à l’homicide involontaire, tel qu’il figure à l’article 221-6-1 du Code pénal ainsi rédigé :

« Lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité prévu par l’article 221-6 est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, l’homicide involontaire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque :

1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées ci-après ;

2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste ou était sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;

3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le code de la route destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;

Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque l’homicide involontaire a été commis avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° et suivants du présent article« .

Le résultat n’est pas moins simple : l’usage du « délit » d’homicide routier n’implique aucune modification pénale, les peines encourues étant à l’identique :

➢ 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour un homicide involontaire par conducteur d’un véhicule terrestre à moteur ;

➢ 7 ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende en cas de violation manifestement délibérée d’une règle de prudence ou de sécurité en présence d’une circonstance aggravante (alcool, stupéfiants) ;

➢ 10 ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende en présence de plusieurs circonstances aggravantes.

D’un point de vue administratif, la donne est certes sensiblement différente, mais ne modifie en rien une peine répressive demeurée intacte : retrait de 8 points (au lieu de 6) avec suspension automatique du permis de conduire en cas de consommation de stupéfiants.

D’aucuns ont logiquement critiqué un simple effet d’annonce qui tente péniblement de masquer un manque d’audace, voire l’insuffisance d’impacts sur les politiques de répression et d’accompagnement.

Plus gravement, ce « projet » a objectivé des incohérences juridiques incompatibles avec le droit pénal, accompagnées du risque d’en transfigurer les principes fondateurs.

Homicide routier

2 – Des effets secondaires pernicieux

Le droit pénal connaît trois types d’infractions criminelles, toutes soumises aux variations de l’intention :

➢ Homicide involontaire (absence d’intention) ;

➢ Coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner ;

➢ Homicide volontaire (meurtre) induisant l’intention morale de donner la mort (animus necandi).

De manière claire, la culpabilité repose sur la preuve rapportée de l’intention en tant qu’élément central de l’infraction, en lien avec les moyens utilisés (arme par nature ou par destination) et/ou les circonstances.

En accord avec les principes généraux du droit pénal, il ne saurait y avoir de crime sans intention de le commettre.

Le délit d’homicide routier défait cette équation de base : à l’intention morale volontairement létale, se substituerait la seule connaissance par le conducteur d’un risque potentiellement mortel pour les autres en cas d’absorption préalable de stupéfiants.

Le projet est louable pour s’insérer dans le souhait des victimes d’une répression plus manifeste et concrète des auteurs.

Le mieux étant toujours l’ennemi du bien, ce vœu risque cependant d’induire de sévères difficultés pratiques en matière de preuve rapportée de l’intention, comme dans l’organisation judiciaire.

Une sincère amertume émerge de cet ensemble : outre le sentiment d’inachevé, les parties civiles font le constat d’une triste habitude à recourir à l’inflation législative, là où il suffisait simplement d’appliquer dans les prétoires un arsenal répressif d’ores et déjà existant.

 3 – Ce qui ne change pas : la désillusion des victimes !

Les dispositions du Code pénal (article 130-1 et 132.-1) imposent que l’attention des juridictions se concentrent sur la personnalité de l’auteur, son passé, sa situation matérielle, familiale et sociale.

De manière additionnelle et pratique, la qualité de « primo délinquant » du prévenu, comme le risque d’une désocialisation en milieu carcéral, ne sont pas sans influence sur le prononcé de la peine pénale, principale et accessoire.

Il ressort des statistiques du Ministère de la justice de Septembre 2023 (sur question écrite n° 06199-16ème législature) qu’au cours de l’année 2022, et dans les cas d’homicide involontaire par conducteur sous l’empire d’un état alcoolique ou après usage de stupéfiants, seuls 64 % des peines prononcées à l’encontre de ces auteurs ont été assorties d’emprisonnement ferme (sous réserve des aménagements de peines).

Il est peu de souligner la déception récurrente des victimes à l’énoncé des peines pénales, avec le sentiment d’un « déni de justice » rajouté à leur chagrin, d’une clémence parfois jugée injustifiée à l’égard des délinquants de la route, comme d’une rupture d’un contrat social judiciaire en lequel elles avaient foi.

Il reste aux Avocats de parties civiles de plaider que le permis de conduire n’est pas le permis de tuer, et qu’un chèque n’a jamais atténué la morsure du deuil.

Il n’est pas rare le moment où les parties civiles se sentent ramenées à la portion d’ombres informelles et larmoyantes, quémandant un peu de vérité sinon de courage de la part des prévenus, avec en sus l’interdiction pour elles d’interjeter appel de la sanction pénale.

Le projet d’homicide routier n’a comblé aucun de ces illogismes judiciaires, aucune de leurs attentes, relevant d’une intention aussi malhabile que stérile dans ses effets, avec le sentiment d’avoir reçu de la poudre aux yeux.

Une déception de plus…

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